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DENIS MALARTRE

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1986

 

 

 

 

 

 

Autoportrait, NYC - 1986

 

L’aventure photographique commencée à la Renaissance doit prendre fin. Le système perspectif orienté de l’extérieur vers l’intérieur, contemplation monoculaire d’un monde ordonné, hiérarchique et tridimensionnel se lasse et finit dans la monomanie, la répétition du regard/vision... perception toujours recommencée, jamais aboutie.

 

D’où vient que la photographie ne se pose aucune question, qu’elle prend le réel pour argent comptant (ou presque) ? Admettons que l’usage commun et l’usage savant ont semé la confusion, mêlant réel et représentation, télescopant l’aperçu mental et le temps réel du monde. La photographie, on le sait, a libéré la peinture de son mode perspectif, de sa tâche représentative (réaliste) et lui a laissé un vaste champ libre où elle a pu interroger sa nature, son idéologie, le monde philosophique du tableau. De même, la télévision de nos jours devrait-elle libérer l’image photographique de la contrainte tenace du document, du regard journalistique, du constat. Et la photographie, très lentement, meurt, étouffée par ses millions d’images, toutes semblables, toutes soumises à cette petite fenêtre ouverte sur le monde. Les photographes ont vécu. Dirigés par la machine, ils ont compliqué à l’extrême les lois de la composition, se laissant entraîner derrière Cartier-Bresson sur le chemin des accidents, des automatismes du quotidien, de la valorisation de la rue, de la banalité.

 

Depuis cette révolution, le monde – et ses formidables lumières – a embarrassé les surfaces sensibles. Nous restons stupéfaits devant des monceaux de papiers porteurs de tant d’amours et de haines, de tant et tant d’histoires qu’il fallut bien un jour les fondre au réel, illustration superbe, exacte, de la douleur quotidienne. Nous avons tout vu, de la guerre d’Espagne au Vietnam, de Moscou à New York ou Tokyo. Chaque jour peut être un tout du monde, comme hier ou demain, chaque jour le même. Remarquables regards hallucinés, dépenses d’énergie pour refléter le petit bout de la lorgnette, le trou de la serrure, la fenêtre entrouverte.

 

Quelle raison impérieuse dirige cet œil immense ? Comment un photographe peut-il y retrouver ses petits, son individualité, sa singularité ? Chacun y cherche sa pertinence, son regard. L’un les zoos, l’autres les gitans, ou les monstres, ou la guerre ou les pèlerinages. Ou encore le grand angle, le noir et blanc, le grain éclaté. Ou encore le sujet au centre, ou au bord du cadre. Plus ou moins de nécessité, d’habilité, de savoir-faire voire de génie pour produire une image, la même image. L’individu cherche, parfois avec succès, à se glisser dans l’image mécanique. La démonstration est réussie. Oui, le monde a quelque chose à voir avec la fiction (Arbus, Frank). Les regards se différencient subtilement par l’humain, la tendresse ou la dureté, la sensibilité, toutes notions bien floues de l’autobiographie. L’affirmation du moi derrière l’obturateur semblait un tour de force, une magie, une sensation nerveuse de l’instant décisif érigé en principe définitif. Et ensuite vient la multiplication des pains. La démonstration du monde est devenue trop nette, lassante.

 

Le coude appuyé sur ces millions d’images, je me demande ce que je peux bien avoir à faire de ce monde, de cette réalité (photographique ou non), de ces biographies narcissiques, de ces narrations débridées, répétitives. Il faudrait continuer à vivre accroché à ce modèle, à ces encadrements de verre, ces maries-louises (l’autre fenêtre sur la fenêtre) et contempler passivement. Pourtant cela n’est que morceau de papier gélatiné, surface simple. Alors le plan du papier fait illusion ? Pourquoi continuer cette duperie ? Je sais bien qu’il est difficile d’ignorer tout à fait qu’une image est une image mais, au-delà de la vraisemblance, il y a par-dessus tout la duperie du regard, du moi. L’objet est là, devant nos yeux (morceau de papier, disais-je) et il faudrait le considérer comme profondeur vivante, issue de l’œil ? Ce papier figuré d’espace, de lumière, ce papier composé, narratif et désirant synthétise les complexités, les torsions du monde sans en rien l’éclaircir. Tout le monde s’y bouscule et s’y enchevêtre et tombe enfin sous le coup d’une absence de sens, en plein maniérisme. Nous n’y voyons que du feu, pris dans cette volonté si fragile que la satisfaction vient rarement couronner une image, que l’insatisfaction devient le moteur principal de la répétition, du recommencement vers la perfection, l’achèvement ultime... recherche toujours déçue.

 

Il faut reprendre les problèmes en leur début et réfléchir (non pas en écrivant mais en fabriquant ; réfléchir picturalement) à la constitution des images. Prendre chaque degré à son minimum, en dehors de toute relation narrative et autobiographique. Je ferme la fenêtre afin d’y voir plus clair et prends la photographie comme objet. Une sorte de relation objectale. Oui c’est cela qu’il faudrait dire : “La photographie objectale”. Un champ nouveau s’ouvre alors au travail.

 

Soit une forme... une forme simple. Par exemple une bande de papier blanc, une bande un peu irrégulière, pas totalement blanche. Une forme prise simplement. Devant l’objectif, au centre du cadre. Une lumière simple, unique, qui forme alentour des valeurs allant du blanc aux différents gris. Un espace simple. Une profondeur de champ minimale. Un objet, une profondeur infime qu’il faut limiter parfois par des interventions manuelles. Des signes gravés dans la gélatine pour empêcher l’espace de filer trop loin. Un faux plat qui renvoie à l’objet de papier qu’est la photographie.

Enfin c’est un exemple.

 

Denis Malartre

24 novembre 1986

 

 

 

 

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